Le Centre de la photographie Genève présente pour la deuxième année consécutive les 10 meilleures séries parmi environ 150 propositions émanant de la jeune scène photographique suisse.
Ueli Alder / Michael Blaser / Sophie Brasey / Ornella Cacace / Luca Christen / Maud Constantin / Bianca Dugaro / Maya Rochat / Katja Gläss / Nadja Tempest
Pour la 13ème édition du Prix des Jeunes Talents vfg, la « Vereinigung fotografischer GestalterInnen », l’association des créateurs photographes professionnels, a nommé un jury indépendant, comme ce fut le cas lors des précédentes éditions.
Conversation entre deux membres du jury
Anselm Stalder: Avec Maria Schönbucher, Claudio Moser et Nenad Kovacic, nous avons examiné 140 envois pendant deux jours pour le Prix des jeunes talents vfg. Nous avons choisi dix travaux qui seront exposés et parmi lesquels figurent les œuvres des quatre lauréats des prix. L’équipe de la vfg nous a accueillis dans une atmosphère très conviviale. Elle a débarrassé tout ce qui aurait pu perturber notre concentration et je lui en suis très reconnaissant. J’ai l’habitude de faire partie d’un jury, mais je ne m’étais encore jamais consacré qu’à un seul medium. Les discussions stimulantes et ouvertes nous ont beaucoup aidés à rester attentifs et précis.
Les dix travaux choisis couvrent une large palette, aussi bien du point de vue de la manière de considérer l’utilisation la photographie en tant que medium, que sur le plan thématique. Un regard bouleversant sur une fratrie, ou un groupe de photos qui essaient de saisir de manière très détaillée et avec une grande précision l’atmosphère oppressante d’un dimanche après-midi en famille dans des quartiers de maisons individuelles. Des photos de jeunes personnes touchantes dans un paysage urbain de nuit contrastent avec des photos d’architectures et d’enfants d’une douloureuse dureté. Tu travailles notamment pour les Journées photographiques de Bienne et te consacres certainement davantage à la photographie que moi, en tant qu'artiste et maître de conférences à la Haute école des arts de Berne. Est-ce que tu regrettes l’absence de certains thèmes auxquels tu t’attendais ou dont tu estimes qu’ils devraient s’imposer à de jeunes photographes?
Catherine Kohler: Comme tu l’as mentionné, l’hétérogénéité des sujets abordés ou des méthodes d’approche était manifeste, non seulement dans les travaux sélectionnés mais aussi dans l’ensemble des œuvres qu’il nous a été donné d’examiner. Cependant, on peut relever certains sujets de prédilection et certaines caractéristiques récurrentes. Au niveau de la thématique, on observe par exemple chez les photographes une attraction pour le monde rural et montagnard. Le medium photographique y joue un rôle de mémoire en enregistrant un monde qui disparaît inéluctablement. Ce genre de photographie est aussi un moyen de se réapproprier des lieux ou visions de son enfance, de son passé. Parmi les œuvres retenues, la série «Wenn’d gnueg wiit weg goscht, bischt wieder uf em heeweg» de Ueli Alder en constitue un exemple non dénué d’humour. Il me semble que les travaux inspirés par la nostalgie du passé occupent une place importante contrairement à ceux qui se nourrissent de mythologies du futur, qui proposent un monde fantastique visionnaire, parallèle au monde moderne. Toute imagerie futuriste qui prédomine dans la création numérique est en effet quasi absente. En outre, ce qui à mon avis se dégage de l’ensemble des travaux observés, c’est un regard subjectif qui commande aux représentations d’émotions diverses, jouant souvent sur l’affect, sur des sentiments universels, comme le montre «Unter uns» de Nadja Tempest, qui aborde les liens familiaux par de subtiles mises en scène.
Anselm Stalder: J’ai été étonné de constater que des expériences aux bords de la production de photographies numériques font défaut et qu’il n’y a presque pas de petits jeux, qui relèvent avant tout d’effets de traitement des photos. Je ne veux cependant pas en tirer de conclusions. Le medium photographique et sa capacité – comme tu l’as déjà mentionné – à formuler et transporter des affects, ne sont presque pas remis en question. Il semble donc que la motivation de créer des photos réside bien plus dans croyance intacte en l’énergie du medium ? à savoir son aptitude à s’adresser à des personnes ? que dans l’intérêt pour le potentiel médiatique de la photographie. Pendant ces deux jours, je me suis à plusieurs reprises demandé si le fait que les travaux soumis doivent se limiter à huit photographies, conformément au règlement du concours, est un avantage ou si cela ne comporte pas non plus des inconvénients. Parmi les groupes de photos que nous avons étudiés attentivement, plusieurs laissaient percevoir, dans cinq ou six photos, une intention ou une aspiration qui ne se retrouvait plus dans les autres photos. Je me demande de plus en plus si le fait d’éliminer les photos «en surnombre» constitue la seule manière de procéder envisageable. Il existe une longue tradition des séries thématiques dans l’histoire de la photographie, comme par exemple ceux d’August Sander dans son «portfolio archétypal». Les photographes qui ont étudié chez Bernd et Hilla Becher à Dusseldorf poursuivent cette tradition en l’élargissant. Or nous avons également pu reconnaître cette pratique dans de nombreux travaux soumis pour le concours, même si elle n’était toutefois pas manifeste. Je ne peux pas dire si cette pratique est volontaire. Ce qui me préoccupe davantage est La question de savoir si cette démarche de type encyclopédique, en tant que méthode photographique, –s’efforcer à ne rien oublier –, peut et doit être poursuivie me préoccupe davantage. Le regard de William Eggleston sur le monde relève de la même pratique, mais il n’aspire pas à l’ordre. Son regard est post-médiatique et connaît les conditions médiatiques de la photographie, mais qui ne les traite pas toujours lorsqu’il regarde quelque-chose en détail et le photographie éventuellement. Chaque photo est ainsi intégrée pour de toutes autres raisons dans une série. Elle ne répond pas aux lois de la volonté formelle d’ordre, mais s’insère dans la série via le regard, par un processus d’identification. Tu as suggéré que notre entretien pourrait se conclure avec la notion d’«être actif devant une photographie» et je m’en réjouis. Nous n’avons plus beaucoup de place. Je la mets volontiers à ta disposition pour formuler des réflexions finales.
Catherine Kohler: L’expression, lancée par Claudio Moser pendant le jury, m’a plu d’emblée. Elle véhicule l’idée qu’une œuvre photographique, a fortiori une œuvre pertinente, active les forces du regard. Je pense notamment au travail de Maya Rochat, «Sous les pavés la plage», constitué de photographies de nuit qui révèlent une beauté esthétique cachée dans le contexte urbain et qui nous encouragent activement à nous poser des questions, à nous demander pourquoi ces espaces sont tels qu’ils sont.