Max Regenberg documente depuis 1979 l’affichage dans l’espace public. Le CPG présente la première exposition institutionnelle d’un des plus important documentariste allemand, hors de son pays natal. Cette co-production avec le Kunstverein Wolfsburg prévoit un catalogue commun. Emmanuelle Bayart a repéré à Sarcelles, une banlieue parisienne, des monuments commémoratifs renvoyant à la grande diversité de ses habitants. En les représentant dans le contexte urbain déshumanisé, l’artiste propose des images hors des clichés jeunes délinquants/police, véhiculés par les mass-médias.
Max Regenberg L’USAGE DU PAYSAGE
Le Centre de la Photographie Genève consacre au photographe Max Regenberg une importante exposition du 24 janvier au 23 mars 2014. Elle retrace avec environ 60 pièces les moments forts d’une œuvre construite durant les 35 dernières années. Né en 1951 à Bremerhaven, Regenberg compte parmi les représentants les plus intéressants du « style documentaire » en Allemagne ; néanmoins, son travail n’a jamais fait l’objet d’une exposition dans une institution étrangère. A cette occasion paraîtra, en collaboration avec la Städtische Galerie Wolfsburg, un catalogue.
Depuis la fin des années 1970, Regenberg photographie exclusivement des affiches géantes (appelées Europa-Format en Allemagne) dans l’espace public. Intéressé par les constellations hasardeuses entre architecture, contenu de l’affiche et contexte urbain, ces photographies, comme l’observe l’artiste, informent beaucoup sur le temps propre de la prise de vue. Elles sont autant le témoin d’une époque, voire capsule de temps, que la conscience culturelle et politique d’une société.
Nous pouvons considérer Max Regenberg comme un photographe de paysage qui marie l’art et la publicité et qui résume la force de séduction des deux domaines. Oscillant entre d’une part la fascination et d’autre part la critique, son travail reflète l’imagerie que nous trouvons principalement dans les villes sur des colonnes Morris, des panneaux d’affichage et des palissades de publicité et à laquelle personne n’échappe. Il n’est pas étonnant d’apprendre que l’artiste lui-même possède une collection de plus de 7000 affiches.
Il est évident d’inscrire cette œuvre dans la tradition des représentants des « New Topographics », ces photographes d’Amérique du Nord qui ont substantiellement changé la photographie de paysage dès le début des années 70, tels Robert Adams, Lewis Baltz ou encore Stephen Shore. Cette génération s’est intéressée davantage à la relation dialectique entre nature et civilisation, tout en travaillant ce champ de tension entre représentation, fiction et documentation, entre réalité tangible et simulation.
Une thématique conséquente comme base d’une culture de la mémoire Ce travail de fourmi est témoin d’une époque tout en étant cage de mémoire, relatant le changement continu de la société capitaliste, que ce soit le monde de la publicité ou le paysage, soumis tout autant à la valeur marchande. Tel un séismographe, le travail de Max Regenberg enregistre l’état culturel et politique de la société de consomation. L’omniprésence des formes les plus diverses de la propagande publiciste domine nos villes et influe par sa présence imposante sur nos comportements de consommateurs. La culture de l’image domine la culture écrite pour déterminer, avec des messages qui doivent être communiqués en un quart de seconde, le goût et la conscience des hommes et des femmes.
Max Regenberg trouve son sujet partout, devant sa porte, dans les villes voisines tout comme à l’étranger, c’est-à-dire dans l’hémisphère occidental. Il compose ses images à Barcelone, Berlin, Paris ou Düsseldorf, mais surtout dans sa ville d’élection: Cologne. Mais les lieux importent peu pour la réception de son travail, car ils sont plus des représentants symboliques de la bataille sans fin de « l’homme contre la nature » que des portraits de villes.
Les panneaux d’affichage géants se précipitent dans ces espaces anonymes en tant que supports de ces objets de désir. Égale à une occupation de terrain, l’image publicitaire transporte principalement sa propre marque. Inattendues, voire même non désirées, les surfaces les plus bariolées occupent les lieux de vie et représentent leur environnement comme un sosie.
En collaboration avec la galerie Thomas Zander (Cologne), La Fondation A Stichting (Bruxelles) et La Städtische galerie Wolfsburg
EMMANUELLE BAYART COMMÉMORATION
« Paris, Paris Île-de-France, Paris et sa périphérie, Paris banlieue. Suite aux émeutes de 2005, tombés depuis sous silence, et soucieuse de sortir de la cage dorée de l’enceinte parisienne, je me suis rendue en banlieue.
L’existence des banlieues est le résultat d’un débordement de la ville au-delà de ses murs ou limites, ou encore d’un étalement urbain, si ce n’est la mise en œuvre volontaire d’une relégation sociale. Il n’est pas ici question des jeunes des cités mais de Sarcelles, où les revendications mémorielles qui se jouent à ciel ouvert, à qui de droit, disent quelque chose des enjeux de notre temps présent. Sarcelles est représentative d’autres villes de banlieue, mais se distingue par l’ampleur de ses représentations mémorielles.
L’agglomération se divise principalement en deux parties distinctes: le vieux village au Nord-Ouest et le quartier des Lochères au Sud, celui de la ville nouvelle des années 50, séparée du reste de la commune par un important parc sportif.
Interloquée par la présence d’un buste d’Aimé Césaire sur une place attenante au grand ensemble, à 50 mètres d’une plaque mémorielle à Jean Moulin, j’ai ensuite découvert de nombreux autres mémoriaux, insoupçonnés. Dès lors, je me suis demandée comment un mémorial gagnait-t-il l’espace publique et qui en était le commanditaire. Bien que la demande vienne d’associations qui, en concertation avec la mairie, choisissent d’édifier un monument?; que le Centre sportif Nelson Mandela soit fréquenté par une large part de la population, dont les jeunes, ces édifications sont-elles vraiment là pour transmettre les Histoires et pour honorer les morts, ou cette surenchère mémorielle résulte-t-elle d’une course aux monuments menée par une politique clientéliste au risque du communautarisme.
La réponse est double et les demandes bien réelles. Quelle place est donnée à l’histoire, de qui et de quelle façon? Que nous apprend l’histoire sur notre présent? Les banlieues, un ghetto?
Mon travail est de montrer, pas de dénoncer ni de juger. J’ai donc pris le parti de photographier ces monuments dans leur contexte, composant ainsi un paysage sarcellois sous leur angle. L’image est le lieu d’une rencontre qui j’espère suscite interrogation malgré une certaine banalité apparente. Je me sens proche des sciences sociales mais je ne cherche pas comme celles-ci à expliquer, surtout à interroger. C’est à l’agencement du présent dans son contexte que je m’attache, et à sa relation aux temps de l’histoire. » Emmanuelle Bayart
L'exposition et le livre Commémoration bénéficient du soutien du Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (Fmac), du Pour-cent culturel Migros et de la République et canton de Genève.