Yto Barrada

09.09 — 28.10.2010

Il y a des photographes dont le travail s’identifie à leur ville, qu’elle soit ville de naissance et/ou d’élection. C’est le cas de Boris Mikhailov et Karkow, Gabriele et Helmut Nothhelfer et Berlin, ou encore de Tom Wood et Liverpool (tous exposés au CPG ).
C’est aussi le cas avec Yto Barrada et Tanger. Elle y a grandi après être née en 1971 à Paris et elle y est revenue après ses études de sciences politiques à Paris et de photographie à New York.

 

Vernissage: 08.09.2010

Yto Barrada


 

Si l’artiste partage avec Boris Mikhailov le goût pour l’allégorie et avec Tom Wood la pratique de la street photography et de l’instantané, sa ville est l’opposée de Karkow ou de Liverpool. D’autres artistes et écrivains ont déjà marqué l’image de Tanger depuis un siècle et demi. La ville africaine la plus proche de l’Europe a exercé une forte attraction sur les peintres depuis Eugène Delacroix, en passant par Albert Marquet et Henri Matisse jusqu’à Claudio Bravo; mais aussi sur des écrivains tel que Paul et Jane Bowles d’abord, à la fin des années 40, puis dans leur sillage, à partir des années 50, les auteurs de la beat génération comme William S. Burroughs, suivi par Allan Ginsberg et Jack Kerouac, et plus tard Mohamed Choukri. L’image de Tanger au début du XXème siècle, alors lieu de rendez-vous de diplomates et d’aventuriers, est des plus romanesque. Durant son statut de zone internationale de 1923 à 1955, on y trouve des espions, des contrebandiers et des riches excentriques comme Barbara Hutton, Malcolm Forbes et Yves Saint Laurent dans les années 70. Ce n’est pas ce Tanger qui intéresse l’artiste. Seule une vidéo représentant un vieux prestidigitateur maladroit au costume vieux de 50 ans dont les paillettes ont perdu de leur éclat, témoigne encore de cette époque. Aujourd’hui, Tanger exerce une grande force d’attraction sur les habitants des campagnes appauvris, tout comme sur les spéculateurs immobiliers qui espèrent allécher des touristes européens, tandis que des migrants de l’Afrique subsaharienne y transitent en espérant joindre clandestinement la rive européenne. C’est à cette ville qu’Yto Barrada se frotte. « Pour sortir de la morosité ambiante, où sur un million d’habitants il n’y a aucun équipement culturel », Yto Barrada a ouvert avec d’autres artistes en 2006 La Cinémathèque de Tanger » en sauvant le très beau cinéma Rif des années 30.

La photographie, en un premier temps, a été pour Yto Barrada un outil de recherches. C’est en 1998 qu’elle montre à l’Institut du monde arabe à Paris un travail exclusivement photographique sur les barrages militaires en Cisjordanie. L’année suivante elle démarre Le Projet du détroit qui lui apporte une reconnaissance internationale et qu’elle prolonge jusqu’en 2008. Si le détroit de Gibraltar est le lieu de transit de milliers d’immigrés clandestins à partir des lois de Schengen de 1991, l’artiste s’intéressait à sa ville comme une grande salle d’attente. C’est ce temps suspendu, cette attente qui peut durer des mois, ce désir d’intégrer la culture consumériste occidentale vue à la télé, ce calme trompeur avant la fuite qu’Yto Barrada capte avec précision dans ses clichés qui aboutissent en 2005 au livre A Life Full of Holes – The Strait Project. Dans ce titre nous pouvons aussi entendre une déclaration esthétique. Si « strait » est le terme anglais pour « étroit », il correspond phonétiquement à la première esthétique photographique qui rompait avec le pictorialisme et montrait les humains et les objets tels qu’ils sont : straight.

Mais à l’âge de la saturation d’images chocs produites par le monde des mass-média qui exhibent des cadavres sur les plages espagnoles ou des dizaines de passagers debout, entassés dans des embarquements de fortune fixant muets les caméras de télévisions, l’approche strait ne peux plus se résumer à une seule image. Ainsi, Yto Barrada compose à chaque exposition de nouveaux montages. Ses photographies représentent des sujets communs : un hall d’usine de crevettes comblé d’ouvrières habillées en blanc ; des personnes de dos, comme quand ils lorgnent vers l’autre rive; des terrains vagues; de l’imagerie populaire. Pareil pour les titres qui renvoient à la topographie et au rues de Tanger et qui ne sont pas démunis de sens comme par exemple RUE DE LA LIBERTÉ pour deux hommes qui s’embrassent ou LE DETROIT (avenue d’Espagne) pour un garçon traversant une rue, vu d’en haut, et portant dans ses bras une maquette d’un grand voilier. C’est l’agencement, la

chaîne d’associations que l’artiste déclenche qui crée aussi la force de son travail. Pour l’exposition au CPG elle a choisi 18 pièces de l’ensemble qui compte aujourd’hui autour de 70 photographies. Le titre A Life Full of Holes est emprunté au livre de Driss Ben Hamed Charhadi, premier conteur marocain transcrit par Paul Bowles (Paris, Gallimard, 1965) : « On dit qu’il vaut mieux ne pas avoir de vie qu’une vie pleine de trous. Mais on dit aussi : mieux vaut un sac vide que pas de sac du tout. Je ne sais pas. »

À la suite de cette série, l’artiste a focalisé son attention sur l’urbanisme tangérois par le biais de questions liées à la botanique. Si par les politiques économiques du FMI les populations rurales sont arrachées de leur terre pour s’entasser dans des baraquements mal lotis dans les périphéries intérieures de Tanger, la côte par contre est en train de se transformer à l’image des grands complexes touristiques de l’autre côté de la Méditerranée : L’iris sauvage de Tanger, «l’Iris Tingitana » est chassé par les géraniums.

Nous trouvons dans son nouveau travail une situation d’ambigüité similaire à la situation du Détroit de Gibraltar. En un premier temps des flux de clandestins transitaient par Tanger pour atteindre les rives nord de la Méditerranée, aujourd’hui les Tangérois espèrent l’arrivée de flux de vacanciers fortunés, prêts à investir dans la pierre tangéroise. À l’heure de la brutale transformation de sa ville, Yto Barrada a choisi le palmier comme figure d’une nouvelle ambigüité : on les abat d’un côté pour implanter de nouveaux complexes urbains et de l’autre côté, pour donner une touche d’exotisme si chère aux touristes, on les plante le long des avenues.

Le film 16 mm Beau Geste de 2009, témoigne des ruses qu’Yto Barrada emploie pour être ce grain de sable dans le moteur du soit disant progrès, à l’image de ce que nous pouvons – aussi - considérer comme un état de l’art. Plus enregistrement d’une performance que film documentaire, nous voyons trois hommes en chemises blanches bêcher lors d’un dimanche, près d’une grande artère dans un quartier populaire. Le petit « commando de guérilla urbain » nettoie les plaies d’un palmier, à moitié coupé de ses racines. La blessure a été commise intentionnellement pour qu’il tombe au plus vite en vue de libérer le terrain vague destiné à un projet immobilier. Mais avec l’aide du « commando », le palmier survivra peut-être et le terrain restera vague grâce à une loi qui interdit l’abatage des palmiers.

Parmi ses nouveaux travaux figure aussi la série d’affiches A Modest Proposal, titre emprunté à Jonathan Swift, qui est réunie au CPG, avant la Biennale de São Paulo. Une de ces affiches contient aussi un inventaire de palmiers, tandis qu’une autre renvoie avec un texte aux plans d’urbanisme contemporain développés dans les années 30 par le Maréchal Lyautey, résident général au Protectorat français du Maroc de 1912 à 1924. Son portrait (sans moustache), est imprimé sur l’autre côté portant sa citation après avoir appris la lenteur de croissance d’un arbre: „Plantons un tout de suite aujourd’hui!“ La parution d’une monographie de l’artiste est prévue chez JRP Ringier.

Yto Barrada est née à Paris en 1971. Elle a exposé ces dernières années au Haus der Kunst en 2010 (Munich), au Musée national d’Art Moderne en 2010 et 2005 (Paris), au Fowler Museum en 2009 (Los Angeles), au MoMA en 2009 (San Francisco), au Stedelijk Museum en 2008 (Amsterdam), au CAC en 2007 (Genève), à la Biennale de Venise en 2007, au Jeu de Paume en 2006 (Paris), au Moderna Museet en 2005 (Stockholm) au MoMA en 2005 (New York).

Yto Barrada est représentée par les Galerie Polaris (Paris), Sfeir-Semler (Hambourg et Beyrouth) et galerieofmarseille (Marseille)


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Fiche d'artisteArtist file

Yto Barrada * 1971 in Paris, lives in Tangier et New York

To begin with, photography was a research tool for Yto Barrada. It was in 1998 that she showed an exclusively photographic project on the military barricades in the West Bank at the Institut du monde arabe in Paris. The following year she embarked on The Strait Project which brought her international recognition, and which she kept going until 2008.

Her photographs depict commonplace subjects: a shrimp factory shed filled with female workers dressed in white; people seen from [...]

To begin with, photography was a research tool for Yto Barrada. It was in 1998 that she showed an exclusively photographic project on the military barricades in the West Bank at the Institut du monde arabe in Paris. The following year she embarked on The Strait Project which brought her international recognition, and which she kept going until 2008.

Her photographs depict commonplace subjects: a shrimp factory shed filled with female workers dressed in white; people seen from behind, as when they are peering at the opposite bank or shore; waste ground; popular imagery. The same is true of the titles that refer to the topography and streets of Tangiers and are not devoid of meaning, like for example RUE DE LA LIBERTÉ for two men hugging one another, or LE DETROIT (avenue d’Espagne) for a boy crossing a street, viewed from above, and carrying a model of a large sailing-ship in his arms.


Exhibition view

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