Le Vernaculaire.
Depuis une vingtaine d’années la photographie vernaculaire rencontre un intérêt grandissant. Selon le Larousse, le terme vernaculaire, du latin « vernaculus »,signifie indigène, et sa racine « verna » désigne« un esclave né dans la maison du maître ». Peut être considéré comme vernaculaire en photographie ce qui n’est pas artistique ou qui n’est pas issu du monde de la communication (mode, presse, publicité), donc par exemple la photographie de famille ou bien la photographie d’identité.
Les artistes ont été les premiers à valoriser les photographies vernaculaires, depuis les avant-gardes historiques jusqu’à Christian Boltanski ou Gerhard Richter.
Etant donnée sa force descriptive, la photographie vernaculaire s’apparente au catalogage, à la catégorisation, voire à la différenciation et porte ainsi en germe son devenir, c’est à dire l’archive.
L’Archive
Rarement l’archive, comme objet discursif dans la culture et dans l’art contemporain, n’a été d’une telle actualité.
« À la fin d’un siècle traqué par la furie de la disparition, l’archive apparaît comme un dernier lieu de salut, lieu de la conservation après tant d’excès de destruction »constate le théoricien Wolfgang Ernst.
En conservant les négatifs des studios d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale et en réalisant de grands formats d’expositions encadrés , les rendant ainsi accessibles au public , le collectionneur Jean Pigozzi et le commissaire André Magnin, à l’époque en charge de la collection CAAC, ont fait un véritable travail d’archivage. Leurs démarches consistant à inventorier toutes ces images, souvent pour la première fois, à les regrouper en un seul lieu de stockage dans le but de les préserver et enfin à les présenter sur le net, les rendant disponibles pour tous, font de ces photographies des documents (anthropologiques, historiques, sociologiques) autant que des œuvres d’art.
Le Studio de photographie en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale
Si quelques archives ont survécu depuis la fin du 19èmesiècle, c’est surtout à partir des années 40 que la production d’images autochtones en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale, se développe . Elle demeure cependant sous la censure des pouvoirs coloniaux et le portrait devient l’ unique activité des photographes à l’instar de ceux réalisés par Seydou Keïta, Mountaga Dembelé ou Cornelieu A Augustt . Ce n’est qu’avec les indépendances, au début des années 60, mais aussi avec l’arrivée de caméras plus maniables, que les photographes africains sortent de leurs studios et se mêlent à la vie de la ville. Le règne des studios de portraits, se terminera vingt ans plus tard avec le développement des laboratoires couleurs bon marché et, plus tard, avec l’avènement de la photo numérique.
Les photographes choisis dans cette exposition, se concentrent exclusivement sur les photographies faites en studio - ou imitant le dispositif du studio. Les photographiés sont représentés en général de front, posant et regardant vers la caméra, isolés devant un fond le plus souvent monochrome.
Les photos prises entre les années 40 et 80, que ce soit à Bamako, à Kinshasa, ou à Lagos, ont été, en général, réalisées pour marquer les moments importants de la vie des photographiés : naissance, décès, mariage, jubilé, fin d’étude, retour à la ville natale. Même la photographie d’identité constituait une étape essentielle dans la biographie des individus, car tout portrait lié à un document administratif scandait aussi une temporalité marquante : concours pour l’obtention d’ un poste, recrutement au sein de l’armée, inscription dans une école, établissement d’un passeport symbole de la liberté de sortir du pays et d’y revenir sans entrave.
Souvent les personnes sont photographiées avec des accessoires. Un homme peut être, par exemple, assis sur une moto ou bien une femme accoudée sur une radio. Symboles de la consommation occidentale, ces objets sont mis, par le photographe, à la disposition du photographié. Ils peuvent signaler : Je n’ai pas les moyens actuellement d’acheter cette moto ou cette radio, mais dans le futur j’en possèderai une. Leur usage pointe ici le futur et prend le contrepied d’une importante partie de la théorie développée entre autres par Roland Barthes. Son fameux « ça a été »assigné à la photographie est remplacé par « ce sera (peut-être) ».
« Construction de l’imaginaire de soi », c’est ainsi que l’artiste et théoricien Olu Oguibé nomme le processus de projection du soi vers une autre identité, vers un autre statut social.
Joerg Bader (Directeur du Centre de la photographie Genève)
Martine Frésia (Commissaire d’Exposition indépendante)